Murmuration en mode Tigre
Où je vous parle de celle qui a occupé mes jours et mes nuits ces dix-huit derniers mois
La version propre du manuscrit de Tigre est envoyé, ça y est. Ça ne veut pas dire que le travail est fini, les éditrices lisent cette dernière version, l’amendent et me renvoient des corrections, puis les épreuves, mais quand même, la grosse partie du job est faite.
C’est étrange d’avoir du temps, ce presque midi pendant lequel je vous écris. Après plusieurs semaines d’activité plus qu’intense (coucou le fait de devoir travailler à temps très plein parce que l’écriture n’est que très difficilement viable), me voilà à tenter de trouver du relâchement. Et enfin, les Murmurations sont de retour, et ça me met en joie de retrouver cet espace d’écriture, de partage et d’échange.
Et je vais enfin pouvoir vous raconter qui est Tigre, comment je l’ai découverte, la suite des évènements, tout ! C’est parti.
Lors de ma soutenance de thèse sur les écrivaines-journalistes de la monarchie de Juillet1 - si ça vous rend curieuxes, elle est en ligne là - j’annonçais, comme il est de bon ton de le faire, un projet de publication à partir de mon sujet. Ce que j’ambitionnais sincèrement, c’était de mettre en lumière les écrits des femmes que j’avais étudiées. Il est assez évident que notre matrimoine concernant les autrices dites mineures du XIXe siècle est pour le moins clairsemé, c’est encore plus criant pour celles qui ont fait carrière dans la presse.
Puisque les modalités d’exercice de l’écriture ont pas mal bougé au XIXe siècle, nombre de prétendants littéraires sont passés par les journaux et les revues. C’est vrai aussi pour les femmes mais elles subissaient une double ostracisation : les femmes n’étaient pas censées écrire parce qu’elles étaient des femmes ; la littérature et la presse généraliste ont été des espaces violemment défendus par les hommes qui refusaient l’existence même de leurs consœurs (et vas-y du procès d’incompétence, de rupture du contrat social…) Plutôt que de se résoudre à ne pas écrire (la blague), les femmes ont : écrit sous pseudonymes masculins, créé leurs espaces éditoriaux - la presse féminine - et adopté des rhétoriques d’acceptabilité.
Ce que j’avais en tête alors, c’était une monographie des oubliées, un recueil des textes de ces femmes qui ont écrit en presse, sur leur écriture, sur le monde qui les entoure, sur leur vie quotidienne, en assumant un point de vue situé. Ça m’a pris du temps, j’ai écrit le Corset d’abord (mon baby livre ici), un roman (qui patiente sagement dans quelques boîtes mail hyper chouettes) et puis j’en ai parlé avec la géniale et talentueuse Élise Kasztelan (dont les travaux de graphisme et d’illustration sont visible sur sa page instagram là). On a imaginé un recueil de textes de journalistes illustré. On a lancé le projet par une liste de personnalités en commençant par Delphine de Girardin sur laquelle j’avais déjà beaucoup de matériau. Ce projet est aujourd’hui signé dans une maison, sortie prévue pour 2026, woop woop.
Le travail documentaire et de recherche pour la préparation du dossier de présentation aux maisons d’édition nous a emmenées une première fois à la bibliothèque Marguerite Durand. Tigre est une des personnalités qu’on a choisie de mettre en lumière. Un peu naïvement, je pensais en arrivant aux archives féministes, qu’il y aurait déjà mille choses écrites sur elle tant son nom apparaît très régulièrement dans les histoires féministes et les histoires de la presse. Je découvre deux biographies disons un peu datées, pas toujours bien sourcées, des mentions dans des chapitres, quelques articles scientifiques mais c’est bien peu au regard de l’envergure du personnage. Et surtout, avec Élise, on se plonge si vite dans le fonds conservé qui regorge de croustillances, d’anecdotes aussi folles les unes que les autres, dans les brouillons, les projets, les mille et une vies de cette femme inarrêtable. Imaginez : elle est actrice pour la Comédie française, elle créé un journal féministe, un cimetière pour animaux, des syndicats de travailleuses, elle se présente à plusieurs élections alors que les femmes sont inéligibles et n’ont toujours pas le droit de vote, elle administre un club automobile pendant la Première Guerre mondiale, elle initie un club de femmes journalistes et une résidence de repos pour les femmes journalistes, elle fonde la toute première bibliothèque d’archives féministes, dans laquelle elle meurt un lundi midi. Le tout en flambant à Monte-Carlo, en se faisant draguer par l’empereur allemand et Georges Clémenceau, en se mariant à l’avocat de Louise Michel, en trouvant de l’argent magique pour financer les luttes suffragistes et les journaux féministes, en tissant des amitiés féminines pour la vie avec Séverine (autre badass incroyable).
J’étais bien sûr fascinée pour ne pas dire séduite. Ni une ni deux, je me rapproche des éditrices des Pérégrines avec qui Élise et moi avions eu des contacts féconds, et si on faisait une biographie de Marguerite Durand ? Banco.

Voilà, c’est elle. Cette féministe, actrice, journaliste, patronne de presse et de cimetière, suffragiste, flambeuse, amoureuse, amie, c’est Marguerite Durand. Et sa biographie sortira en mars. Trop hâte.
Je vous raconte dans la prochaine Murmuration comment j’ai travaillé à partir de tous ses agendas, dans lesquels elle notait tout, ses rendez-vous, les pourboires qu’elle laissait, ses critiques des conférences auxquelles elle assistait, ses règles, tout.
Vous la connaissiez ? Racontez-moi en commentaires !
Coucou bisous à celleux qui soutiennent leur thèse actuellement, c’est la saison. Courage, force, tout ça, à la fin, ça ira.
J'ai tellement hâte de lire cette biographie. Je connais Marguerite Durand via Madeleine Pelletier qui n'était pas exactement une "fan" sur la fin de sa vie. Je crois qu'elle la rangeait dans la case des "féministes en dentelle". Bravo pour tous ces projets !
Je suis ravie de la découvrir et encore plus de savoir que je pourrais lire sa biographie bientot!